dimanche 12 octobre 2014

Il suffit d'un geste

François Roustang : les gestes du lâcher prise

“Le patient n’est pas un malade mais un maladroit”, nous dit le thérapeute François Roustang dans son livre Il suffit d’un geste. Et pour retrouver le goût de vivre, il faut donner la parole à son corps.
Propos recueillis par Valérie Colin-Simard
Psychologies : Le titre de votre livre, “Il suffit d’un geste”, est presque une provocation. 
Serait-il si facile de guérir ?
François Roustang : Oui, mais cela demande une préparation. Il faut, entre autres, commencer par trouver, en soi, le geste juste. Un simple geste du corps peut exprimer la personne tout entière. Dans mon livre, je parle d’un homme en deuil de sa mère à qui je demande d’ouvrir les mains en signe d’acceptation. Ce monsieur qui, certainement, a fait ce geste une bonne dizaine de fois dans la journée sans y penser, ne parvient pas à le faire en conscience parce qu’il refuse de se détacher de sa souffrance. Je cite également un autre cas, celui d’une femme dépressive. Pour lui faire lâcher prise, je lui ai dit : « Ouvrez les vannes. » Ses parents avaient été longtemps responsables d’une écluse. Je lui ai demandé de tourner la manivelle. Après deux ou trois séances, elle a réussi à le faire, ce qui l’a délivrée complètement de la dépression.
Pour moi, le patient n’est pas un malade mais un maladroit, c’est-à-dire quelqu’un qui, dans la vie et avec son entourage, ne fait pas les gestes justes. Mon message est de lui dire : « Si vous voulez aller mieux, c’est très simple » ; mais le problème, c’est que… c’est très difficile d’être simple. Et seul le "lâcher-prise" peut nous permettre d’y arriver.
En tant que thérapeute, qu’entendez-vous par “lâcher prise” ?
Lâcher prise, c’est renoncer aux intentions, aux projets, à la maîtrise de son existence. C’est un abandon de la pensée, de la volonté, et même du résultat. Quelqu’un qui ne cherche plus rien n’attend plus rien, devient disponible et s’ouvre à quelque chose d’autre. C’est cela la magie : laisser venir les forces vives qui sont en nous.

Pourquoi est-ce si difficile de s’abandonner ?

Parce que nous avons l’habitude de vouloir maîtriser notre existence. Dans notre monde, si nous voulons quelque chose, il faut avoir un projet, une stratégie. Mais quand notre existence subit des modifications, il faut s’y prendre autrement. La vie est toujours une invention, mais pour inventer, il faut se laisser inspirer. C’est l’histoire de tous les poètes, de tous les peintres, de tous les créateurs, et c’est aussi celle du patient qui veut guérir. Inventer demande d’accepter l’aventure et l’inconnu. On ne peut pas savoir à l’avance ce qui va se passer. Une patiente m’a dit, il y a quelques jours : « Je sais que le bonheur est à portée de main, mais cela modifierait tellement de choses dans mon existence que je n’ai pas envie de changer ! »
Comment faire la différence entre lâcher-prise et résignation ?
Une personne résignée se soumet, mais garde toujours en elle un ressentiment, un regret ou un sentiment d’injustice. Avec le lâcher-prise au contraire, on part du principe que tout va bien. Mes parents m’ont abandonné lorsque j’étais enfant, mon mari ou ma femme est parti(e), mes enfants sont au chômage… Tout cela, je le prends avec moi aujourd’hui puisque c’est ainsi. C’est seulement si je prends en charge mon existence tout entière que je peux la faire avancer. Je dois partir de là où je suis. Je dis fréquemment à mes patients : « Si vous voulez aller à trente mètres d’ici, s’il vous plaît, commencez par poser vos pieds là où vous êtes. » L’important, c’est de prendre la situation telle qu’elle est, et de la prendre tout entière.
Comment faire pour accepter vraiment une situation douloureuse ?
Oublier ses projets, se mettre dans son corps. Se le réapproprier. S’assurer que vous avez deux pieds, deux jambes et que la vie circule en vous. C’est pour cela que le geste est si important. Je dis souvent : « D’abord, vous vous coupez la tête, et ensuite on va pouvoir travailler ! » On ne peut guérir que si l’on accepte de se réduire à l’état d’être vivant. Ce qui signifie : ne plus penser, ne plus vouloir, ne même plus s’occuper de ses émotions.

Ne plus s’occuper de ses émotions, encore une préconisation thérapeutique à contre-courant !

Sentiments, émotions ou souvenirs ne sont que des témoins d’un passé déjà mort. Ils ne sont que des fardeaux qui entravent notre marche, parce qu’ils reflètent nos habitudes. Il ne s’agit pas de réduire les émotions au silence, mais de les conduire peu à peu à rejoindre le silence dont elles sont sorties. Une thérapie réussie devrait nous permettre de vivre à deux niveaux. Je compare cela à la nappe phréatique. En surface, il y a des plantes et des arbres, et au fond, une source immobile indispensable pour que la vie se développe. En thérapie, on apprend à se situer dans la nappe phréatique, dans ce lieu de fécondité, et l’on constate alors que dans la vie, tout va pouvoir s’arranger. Dès que l’on a accepté de perdre le contrôle, l’énergie revient.
Avec le lâcher-prise, n’êtes-vous pas en train d’ouvrir la voie à une nouvelle forme thérapeutique, la thérapie spirituelle ?
A condition d’entendre le « spirituel » comme une démarche qui ne décolle pas du quotidien. Cette démarche ne consiste pas à entrer dans un autre monde ni à se connecter à une autre dimension. La spiritualité, ce n’est pas fuir la réalité, mais se réconcilier avec elle.
LE LIVRE :
Oublier ses certitudes
“Il suffit d’un geste” (Odile Jacob) peut bousculer, déranger. Il nous demande rien de moins que de lâcher le contrôle et de laisser tomber nos certitudes et ce qui nous sécurise. Un ouvrage courageux, dont certains passages sont de véritables hymnes à la vie et à l’aventure.


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