.Pour être simpliste je dirais: envoyez les bonnes informations à votre cerveau afin qu'il envoie les bons signaux à vos cellules
Entretien avec
Jean-Claude Ameisen : apologie du suicide cellulaire
entretien - Propos recueillis par Olivier Postel-Vinay dans mensuel n°338 daté janvier 2001 à la page 105 (4344 mots)
D'où est venue l'idée que ces cellules qui meurent en réalité se suicident ?
Dans les années 1960, on a d'abord parlé de mort cellulaire programmée, puis l'idée de suicide est apparue. Il a été découvert que si on paralyse des cellules qui vont bientôt mourir, en bloquant leur capacité de fabriquer des protéines, elles survivent. L'idée est donc venue que, dans des circonstances données, en fonction des signaux reçus, la cellule déclenche elle-même un programme d'autodestruction, qui requiert des protéines qu'elle a elle-même fabriquées, et qui sont les outils qu'elle utilise pour se tuer.
Aujourd'hui, on utilise un autre mot : l'apoptose. Cette notion se distingue t-elle du suicide ?
La notion d'apoptose est apparue dans les années 1970. Le mot évoque, en grec ancien, la chute des feuilles en automne. Il désigne la série de transformations que subit la cellule quand elle s'autodétruit. Ces cellules qui se suicident ne provoquent aucune lésion. On assiste à une sorte d'implosion. A l'aide de protéines qu'elle a fabriquées et qui agissent comme des ciseaux, elle se met à se découper en petits morceaux. Pendant ce temps, sa membrane reste intègre, si bien que les composants de la cellule dont certains sont toxiques ne sortent pas à l'extérieur et ne provoquent pas de lésion alentour. Mais pendant qu'elle se tue, elle émet à sa surface des signaux qui permettent aux cellules voisines de l'ingérer et de la faire disparaître.
Comment a-t-on pu mettre en évidence les gènes qui contrôlent l'apoptose ?
Comme souvent en science, la solution à un problème complexe a surgi d'un détour par la simplicité. En l'occurrence le petit ver Caenorhabditis elegans . D'origine très ancienne, ce ver de 1 mm de long n'a qu'un millier de cellules. Son développement embryonnaire est très simple. Pendant cette période, environ 15 % des cellules s'autodétruisent, et sont ingérées par les cellules voisines. Dans les années 1980, chez des mutants de ce petit ver, des anomalies génétiques ont été découvertes dont le seul effet mesurable était de modifier la mort cellulaire au cours du développement. Trois gènes ont été identifiés, dont la présence permet le contrôle de la vie et de la mort de l'ensemble des cellules de l'embryon. Ces gènes permettent aux cellules de fabriquer des outils, des protéines, qui interagissent entre elles. L'une de ces protéines est un exécuteur, dont la présence est nécessaire pour que la cellule se tue. Mais cette protéine elle-même n'est pas suffisante pour entraîner la mort. Il faut qu'elle soit activée par une autre protéine, un activateur. Mais l'activateur ne peut lui-même fonctionner qu'en l'absence d'un protecteur, qui empêche ce mécanisme d'autodestruction de se déclencher dans les 85 % de cellules qui normalement survivent.
Depuis deux ans, on sait aussi que le protecteur lui-même peut être inactivé par un antagoniste, qui va ainsi déclencher l'autodestruction.
La vie ou la mort d'une cellule dépend donc des quantités respectives d'exécuteurs, d'activateurs, de protecteurs et d'antagonistes qu'elle fabrique. Et cette fabrication est couplée aux signaux que reçoit la cellule au cours du développement embryonnaire. Le contrôle de la vie et de la mort dépend donc au total d'un petit module génétique relativement simple que les cellules utilisent en fonction de leur histoire et de leur environnement.
Le suicide cellulaire joue-t-il aussi un rôle dans les maladies ?
Oui. Depuis dix ans, on pense que de très nombreuses maladies sont dues à des dérèglements des mécanismes de suicide cellulaire. Auparavant, l'idée était que, dans des maladies chroniques ou aiguës dans lesquelles des cellules meurent en excès, un agresseur détruit ces cellules. Dans la maladie d'Alzheimer, dans celle de Parkinson, un accident vasculaire cérébral ou un infarctus du myocarde, l'idée la plus courante était qu'on ne pourrait sauver les cellules qu'en empêchant l'agresseur d'opérer. Mais si les cellules meurent non parce qu'un agresseur les détruit mais parce qu'elles perçoivent ou ne perçoivent pas certains signaux et déclenchent leur autodestruction, il suffit de changer les signaux, ou de changer leur réponse aux signaux, pour qu'elles survivent. La question est de savoir dans quelles circonstances et pour quelles cellules le fait de modifier des signaux ou de bloquer la perception de signaux peut être une stratégie thérapeutique applicable.
Ce concept ouvre-t-il de véritables perspectives thérapeutiques ?
Je vais d'abord vous répondre par une métaphore. Dans l'Odyssée le chant des sirènes entraîne la mort des marins. Circé a donné deux conseils à Ulysse : boucher les oreilles de ses marins avec de la cire et se faire lui-même attacher au mât du navire pour que en entendant le chant, il ne puisse pas mourir. La mort est présentée comme une forme d'autodestruction, la participation de celui qui entend le chant étant nécessaire. Dans un autre mythe grec, quand les sirènes commencent à chanter, Orphée se met à jouer de la lyre, et son chant neutralise celui des sirènes.
Ces deux histoires illustrent trois stratégies qui sont actuellement explorées en biologie : bloquer la perception du signal de mort, bloquer la capacité d'y répondre, ou ajouter des signaux contraires.
Jean-Claude Ameisen médecin, immunologiste et chercheur français en biologie
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